La mise en scène “De l’écriture au jeu” – épisode 8
Je vais vous donner le canevas de mon spectacle ” Le magicien voyageur “, tel que je l’ai écrit, en analysant chaque phase afin que vous puissiez bien comprendre la raison du choix de chaque effet ou les motivations de la mise en scène.
Peter est en retard, il a été pris dans des embarras de circulation.
Il va donc entrer en scène avec précipitation, il n’est pas prêt et il découvre avec surprise que les enfants sont déjà installés.
« Vous êtes déjà là ? Je ne vous attendais pas aussi tôt ! Mais ce n’est pas grave, vous allez ressortir et vous reviendrez dans une heure environ ».
Vous remarquerez que ce canevas, que j’appellerai désormais “ le plot ” est très court.
Je m’amuse souvent à dire lors de mes conférences, qu’il doit pouvoir être écrit tout entier sur un le dos d’un timbre poste.
J’ai d’ailleurs entendu Eberhard Riese, le fondateur de la troupe de Stuttgart à l’origine de très nombreux numéros primés internationalement, dire à peu près la même chose, quelques années plus tard lors de la sortie de son livre « Fondation » publié par les éditions Magic Dream, que je vous conseille tout particulièrement.
Déroulement et mise en scène
Lorsque l’on travaille pour des enfants en bas âge, on doit toujours penser à un certain nombre de choses importantes, liées non pas au spectacle proprement dit, mais à la psychologie et au fonctionnement cognitif des jeunes spectateurs.
Ainsi, dans la plupart des spectacles, les artistes ou les organisateurs vont être tentés de « chauffer » la salle, afin de favoriser l’ambiance et de mettre le public en condition.
Ce qui peut-être vrai pour des spectacles adultes – quoi que j’ai de nombreux doute sur la question – ne l’est absolument pas dans notre type de représentation.
Il faut savoir que les enfants en dessous de 5 ans, n’ont pas encore le « réflexe stapédien », c’est à dire un réflexe provoquant une contraction du muscle de l’étrier de l’oreille moyenne, visant à atténuer le niveau d’intensité des sons transmis à l’oreille.
Il a trois fonctions principales :
- Une fonction d’augmentation du champ dynamique de l’audition,
- Une fonction de diminution de l’effet de masque,
- Une fonction d’adaptation auditive.
Ce qui veut dire que lors du début d’un spectacle, on a pour habitude de « monter » le son.
Ceci provoque généralement des battement de mains, que l’artiste entrant en scène, va augmenter en étant lui même, particulièrement dynamique :
« Bonjour !!! Je n’entend rien… Bonjour !!! ».
Tout animateur de spectacle comprendra ce que je veux dire et il trouvera cela parfaitement normal.
En réalité, pour les petits, ce type d’entrée en scène est catastrophique, car il provoque une douleur auditive particulièrement violente et vous aurez certainement remarqué que l’on entend assez souvent des enfants pleurer, juste au moment où un spectacle commence.
Parfois, vous verrez dans la salle des enfants qui vous regardent les mains collées sur leurs oreilles.
Il faut donc envisager une entrée différente, plus en harmonie avec ceux qui seront votre public.
Vous choisirez une musique qui captera l’attention sans avoir recours à la puissance en décibel.
Vous entrerez sur scène en douceur afin de ne pas effrayer les plus émotifs. Vous éviterez de crier ou de parler trop fort.
Comme le font les conteurs, vous ouvrirez votre spectacle à la façon du « Il était une fois » traditionnel, que l’on dit sur le ton de la confidence en se rapprochant des jeunes oreilles attentives.
On peut aussi – c’est la méthode que j’aime utiliser – commencer à parler en voix off et entrer en scène en continuant le texte.
C’est un bon moyen pour préparer les enfants à votre voix et à contrer le « choc » d’énergie perceptible physiquement lors d’une entrée en scène.
Une fois pour toute, il faut tordre le coup à une vieille légende colporter par les vieux routiers du spectacle :
« Ce n’est pas parce que les enfants crient que le spectacle est bon et participatif ! »
Cette croyance est issue des spectacles d’arbres de Noël il y a plusieurs décennies.
Les organisateurs étaient généralement occupés à préparer le goûter dans le hall du théâtre, ou dans une salle voisine, ils ne regardaient pratiquement jamais le spectacle et les artistes pensaient qu’en faisant hurler les enfants, les organisateurs entendraient l’ambiance et jugeraient que les enfants s’amusaient beaucoup.
Je me souviens de ce vieux magicien, il y a bien longtemps qui agitait un foulard vert et disait « j’ai un foulard rouge » et pendant 10 minutes les enfants hurlaient « non, il est vert ! », jusqu’à ce qu’ivres de fatigue et d’excitation, ils finissent par se désintéresser du pitoyable numéro de l’artiste en jouant à « cache-cache » au milieu de la salle.
Ou bien cette présentatrice de gala d’un quintal et demi, qui d’une voix suraiguë hurlait à chaque entrée en scène « ça va les enfants ? », les dits enfants — les plus jeunes — se recroquevillant de terreur et de douleur au fond de leur fauteuil.
Je rencontre encore fréquemment lors de mes tournées de conférences, des anciens ou de moins anciens qui m’affirment avec insistance que c’est ce qu’il faut faire, qu’ils ont toujours fait ainsi et que cela marche très bien.
Grand bien leur fasse et cela explique surement en partie, la connotation ringarde des spectacles de magie pour le grand public et chez les programmateurs.
L’entrée en scène
Comme je l’explique plus haut, j’ai choisi pour « le magicien voyageur », une musique capable de capter l’oreille du spectateur, rappelant dans l’esprit une comptine enfantine que l’on entend dans les cours de recréation.
Elle donne aussi envie de taper dans les mains, mais assez brièvement avant de se transformer en tic-tac de réveil et d’entendre ma voix s’inquiéter de mon retard et de l’importance de mon arrivée avant les enfants.
> Pour écouter un extrait commenté, cliquez ici.
L’entrée sur scène, doit provoquer le premier rire, je vais donc jouer sur un temps d’immobilisation.
Entrée en scène précipitée – je suis en retard -, découverte de la salle et des spectateurs – ils sont déjà installé -, je me fige sur place, les enfants peuvent lire sur mon visage ma stupéfaction et je ne bouge plus, jusqu’à ce que le rire s’installe au bout de quelques secondes, puis je peux enchaîner mon texte qui se terminera par
« Vous allez ressortir et vous reviendrez dans une heure environ ».
Puis je tourne le dos au public pour déposer mon parapluie sur le tabouret, pendant que les enfants m’expriment naturellement leur désaccord.
Pourquoi demander aux enfants de partir ?
C’est la première interaction avec le public. Bien entendu, les enfants vont refuser. « Ah bon ! Ce n’est pas grave, je vais me préparer devant vous ». Les enfants sont ainsi “ mis ” dans la confidence, cela renforce la complicité avec l’artiste et a pour résultat d’obtenir une attention maximale.
De plus, en disant ces simples mots, je viens de donner la clé du spectacle.
Qu’est ce que désire le plus un bambin de 3 ans ? Devenir grand !
Écoutez les jeunes enfants lorsqu’ils disent leurs âges.
Ils n’ont presque jamais trois ou quatre ans, mais trois ans trois quarts ou quatre ans et demi.
Cette impatience de grandir est récurrente et va devenir le but de mon spectacle : il faudra que les enfants quittent le théâtre plus grand que lorsqu’ils y sont entrés !
Comment arriver à ce résultat ?
Tout simplement encore une fois, en se posant la bonne question : Qu’est-ce qui différencie un grand, d’un petit ? Le grand peut souvent dire « non » sans se faire gronder.
C’est exactement ce que je pousse les enfants à faire, dès le début de la représentation et ils ne s’y trompent pas.
À partir de ce refus des enfants de quitter la salle, les éléments de la dramaturgie vont pouvoir se mettre en place et le spectacle va véritablement commencer.
C’est le moment du premier effet magique, comment le choisir ?
Il doit être simple, mais suffisamment fort pour que le public ait envie de voir la suite. Il doit être aussi logique et en accord avec la situation.
Il doit utiliser les accessoires en place.
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